L’inséparable couple céleste

Ophiucus est une constellation qui s’écrit de 2 façons, avec ou sans H. Difficile à prononcer, elle est aussi difficile à lire dans le ciel, car sa forme très étalée se délimite confusément. Avec un peu d’imagination on peut y voir un homme portant au bout de ses bras un lourd serpent enroulé autour de lui. Sur d’anciennes cartes célestes on la trouve nommée ‘le Serpentaire’, nom unique, désignant tout à la fois l'homme et la bête.

En 1930, l’Union Internationale des Astronomes a arrêté définitivement la forme des 88 constellations actuelles, raccourcissant le Serpentaire et en distinguant plusieurs parties : Ophiucus (le porteur ou le charmeur de serpent), Serpens Cauda (la queue du serpent), Serpens Kaput (la tête du serpent). La constellation d’Ophiucus emmêlée avec celle du Serpent évoque un couple céleste que l’histoire mythologique rend indissociables.

Mythologie

Dans l’Antiquité grecque, cette silhouette céleste représentait le dieu de la médecine, Asclepios (Esculape pour les Romains) et son animal favori, un serpent. Fils d’Apollon et de Coronis, sa naissance fut pour le moins enflammée en raison de l’infidélité de sa mère. Coronis ayant trompé Apollon avec un mortel, fut punie et jetée au bûcher. Mais Apollon pris de remords, lui ouvrit le ventre et arracha l'enfant qu'elle portait de lui, pratiquant ainsi la première césarienne connue.

Asclépios fut confié au centaure Chiron, un sage qui lui enseigna la médecine et la chirurgie. La légende rapporte qu’il tua un jour un serpent et eu la surprise de voir un autre serpent s’approcher avec une herbe mystérieuse et lui redonner la vie. Il apprit de ce reptile les secrets des plantes pour ressusciter les morts, et sauva ainsi beaucoup d’humains dont Hippolyte, fils de Thésée, le roi d’Athènes. Soignant les dieux, guérissant les héros, ses compétences et sa renommée croissante le placèrent au rang du «dieu de la médecine», versé dans la connaissance de l’immortalité.

Mais Hadès, le Dieu des Enfers, craignant de ne plus recevoir les âmes des défunts, persuada son frère Zeus de le foudroyer d’un éclair. L’ordre des choses fut ainsi restauré par la mort d’Asclépios, pourtant en principe immortel ! Apollon très mécontent, se vengea en tuant les Cyclopes, qui fabriquaient la foudre utilisée par Zeus. Celui-ci le punit en le chassant temporairement de l'Olympe et l’obligea à servir comme esclave à la cour du roi Admète. Mais plus tard, Zeus se rendit compte des bienfaits d’Asclépios envers les hommes et pour se faire pardonner il décida d’honorer ses talents de guérisseur en le plaçant dans les cieux avec son serpent, sous la forme de la constellation d'Ophiucus, le ‘porteur de serpent’, à côté de son précepteur le Sagittaire.

Symboles

Le serpent, capable de renouveler sa peau chaque année, est un symbole fort, souvent associé au cycle de vie-mort-renaissance.

Le caducée emblème de la profession médicale, représente un arbre de vie entouré d’un ou deux serpents enlacés, symbole du dieu légendaire de la médecine guérissant les malades.

Le serment prêté de nos jours par les jeunes diplômés en médecine vient d’Hippocrate. Né en Grèce en 460 avant J.C. il révolutionne la médecine pratiquée jusqu’alors par les incantations des prêtres, voyageant, observant, transcrivant ses notes dans des livres médicaux. Il soigne de façon clinique, aussi bien les citoyens que les esclaves, et ses convictions humanistes le feront prêter serment au dieu de la médecine, Asclépios, dont il se dira le descendant. Son engagement a traversé les siècles…

Repérage sur la voûte étoilée

Dans cette vaste région céleste de l’hémisphère Nord, la constellation d’Ophiucus n’est pas évidente à cerner. La tête du porteur de serpent se repère avec l’étoile la plus brillante de la constellation, Alpha Ophiuci (Rasalhague) de type A, située à 47a.l ; elle forme un triangle équilatéral avec Véga et Altaïr. De part et d’autre, brillent les épaules du personnage : Bêta et Gamma, Kappa et Iota. Vers le sud, se déploient les bras : Delta et Epsilon, Nu et Tau. Dans les mains des étoiles précitées, passe le corps effilé du reptile dont la tête triangulaire se dresse au sud de la Couronne et de son étoile remarquable, la Perle. Son corps serpente d'une cuisse à l'autre d'Ophiucus : Epsilon, Dzèta, Hêta. Sa queue se perd dans la voie lactée.

Cette constellation comprend quelques objets célestes intéressants (M9, 10, 12, 14, 19, 62,107), et surtout l’étoile de Barnard, appelée à devenir notre voisine immédiate dans environ 10 000 ans. Cette naine rouge découverte en 1916 par l'astronome amateur américain Barnard est accessible à une bonne paire de jumelles à l'Est de Bêta Ophiuci (A.D 17h55m23s et Déc 4°33'18"). Etudiée depuis 1980 par l'astronome hollandais Peter Van de Kamp, elle présente une trajectoire en ligne sinueuse, sans doute perturbée par un ou deux corps gravitant autour d'elle, qui pourraient bien être des exoplanètes.

Explosion céleste

Cette région du ciel, peu fréquentée des astronomes actuels, a connu son heure de gloire le 10/10/1604 lors de l’explosion d’une supernova égalant presque l’éclat de Vénus. Le spectacle enflamma le mathématicien Kepler, qui déversa son émotion dans l'ouvrage ‘De Stella nova in pede Serpentarii’, la ‘Nova de Kepler’ surpassait la brillante Antarès. L’intensité du phénomène baissa au fil des mois et il put l’étudier jusqu’en 1606 puis l'observation à l’œil nu devint impossible, la lunette n’avait pas encore fait son apparition. Mais Galilée utilisa cependant cet évènement comme argument contre le dogme aristotélicien qui formulait des cieux immuables.

Au siècle dernier les traces de la supernova apparurent dans les premiers clichés photographiques du ciel (A.D 17h30,6m et Déc - 21°29'), 400 millions de fois plus faible que lors de son explosion.

Ophiucus dessine un grand signe de ponctuation sur la voûte étoilée. De l'épaule droite jusqu'à son pied, le porteur de serpent s'interroge. Comment l’Univers s'est-il formé ? Y a-t-il un avant ? Jusqu'où s’étend l’immensité ?... Les mêmes questions que Kepler s’est posé, comme tous ceux qui un jour ont tourné leur regard vers le ciel.

Du rififi chez les astrologues

Depuis quelques centaines d’années, les longues jambes d’Ophiucus franchissent l'écliptique, et transgressent la zone interdite réservée aux douze signes du Zodiaque. Créé dit-on par les Babyloniens au 5e siècle av. JC, le zodiaque traditionnel compte douze constellations formant la bande zodiacale que traverse le soleil durant une année. A l’époque, la constellation d'Ophiucus n’était pas située sur son trajet.

Mais dans le ciel, rien n’est immuable, les astres naissent, vivent et meurent, se décalent les uns par rapport aux autres au fil du temps en raison du phénomène de « précession des équinoxes » déjà décrit par les Babyloniens. Ainsi le point vernal (équinoxe de printemps) situé dans la constellation du Bélier il y a 2000 ans, se situe de nos jours dans la constellation des Poissons. Le soleil passe aujourd’hui entre le Scorpion et le Sagittaire, englobant la constellation d’Ophiucus dans le plan de l’écliptique, du 30 novembre au 17 décembre, ce qui en fait en toute objectivité la 13^ème constellation du zodiaque sidéral.

L’astrologie actuelle continue d’utiliser le zodiaque traditionnel pour appliquer la sagesse des astres à la vie quotidienne. Superstition attisée par le nombre 13 ? Symbolique forte du nombre 12 ? Simple cohérence avec le découpage des mois de l’année ? Ou volonté de respecter l’ordre cosmique établi ?

L’Ère du Verseau dans laquelle nous entrons depuis peu est censée apporter une nouvelle conscience, gageons que le lent mouvement des étoiles effacera un jour tous les états d’âmes…