"N'avouez jamais"

(J. Cocteau)

Occitania, boulega ti!

Stops faster!

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Ecriture théâtrale - Association Philotechnique 1992-1993

Le compte à rebours (Essai de monologue dramatique)

La grosse voix, c'est mon père. J'comprends jamais c'qu'il dit. C'est lui qui crie l'plus fort... sur ma maman.

Elle, sa voix est douce, elle fait pas d'bruit pour pas m'déranger.

Mais moi, j'entends son silence, il traverse toutes ses veines et cogne aux parois. Alors il me prend et me fait mal aussi.

J'ai envie d'crier ASSEZ! SUFFIT! Et de la prendre dans mes bras pour la consoler. Qu'elle rit ou qu'elle pleure je vibre comme elle. Et ça elle le sait pas.

Oh! mais ça secoue! Arrêtez! J'vais être malade. La dernière fois j'ai failli m'étouffer avec la corde. Là j'ai vraiment eu peur. C'est vrai que j'commence à être à l'étroit là-dedans.

Ça y est! ils se disputent encore.

On dirait qu'ils sont malheureux, qu'ils se supportent plus. Ils sont dans leur naufrage... et ils m'attendent.

Peut-être qu'ils veulent s'accrocher à moi comme à une petite bouée qui va les ramener à terre. Peut-être après tout.

Tiens ça recommence à bouger! Oh! Mais j'ai changé de côté! Me voilà la tête en bas! C'est pas commode pour nager.

Ah! ils parlent de nouveau. Ils disent que c'est pour bientôt.

Il la force à manger et elle, elle dit qu'elle est au bout.

Mais le bout, c'est quoi?

Ça fait quelques jours qu'elle dit qu'elle est pas bien, depuis qu'il lui a tapé dessus, elle dit qu'elle tiendra jamais l'coup.

Moi j'ai hâte d'appuyer sur le chrono du compte à rebours et d'être autre chose qu'un tube digestif.

J'ai envie de la faire rire, de l'aimer et qu'elle le sache.

Quand j'sortirai c'est la première chose que j'lui dirai.

Hé! doucement! Mais qu'est-ce qu'il se passe?

Ça bouge, ça tangue! Si ça continue on va tous sombrer!

C'est bizarre j'sens plus d'vibrations, plus d'échanges, on dirait qu'elle m'oublie.

Le tic-tac d'un chrono se met en marche et se continue en battements de coeur vers la fin du monologue

Attends maman! Accroches-toi encore un peu! J'ai plein de forces moi! J'vais t'porter sur le rivage, après ça ira mieux.

Attends-moi! Pourquoi tu réponds pas?

J'ai envie de te connaître moi. Attends!

Attends-moi!

Maman! Maman! MAMAAAAAAAAAAAAAANNNNNN !!!!!! 

Comme l’eau qui coule (Essai de monologue)

Enfant révisant sa leçon de géographie dans sa chambre…

« L’eau s’écoule des sources aux océans, des points hauts vers les points bas. »

(Soupirant) ça va être dur ce contrôle demain.

Et qu’est-ce que j’en sais moi, si c’est vrai tout ça ?!

Elle fait quoi cette eau arrivée au but ?

(Baillant) J’commence à avoir sommeil. Faut pas que j’m’endorme elle va arriver. J’ai hâte qu’elle soit là.

Elle, elle ne parle pas comme les autres, elle est toujours d’accord avec moi. Avec elle au moins on peut discuter.

Eux ils posent toujours de questions ennuyeuses : « qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? », « qu’est-ce que tu feras plus tard ? ».

Plus tard ? Je serais pilote d’un hydravion pour sauter dans la mer et éclabousser le ciel ; j’irai entendre chanter les étoiles, j’irai voir danser les sirènes, j’apprivoiserai un nuage et je suivrai les oiseaux qui partent dans les pays chauds.

Ils disent tous que c’est pas sérieux, qu’il faut d’abord apprendre ses leçons et que quand on est grand, après l’école, il faut trouver un métier et l’exercer toute sa vie pour gagner plein d’argent qu’on met de côté pour quand on est vieux.

Moi ça m’plait pas, ça m’fait peur, ils me font peur.

Je connais leurs mensonges.

Je vois des choses qu’ils ne voient pas.

Je fais semblant de les croire pour être tranquille.

Elle sait que je sais.

Elle va venir.

Elle va s’asseoir, là, juste au bord.

Et je verrai ses seins pointer sous sa tunique, la petite grotte secrète se cacher au milieu de son ventre.

Et puis je verrai ses rides se creuser comme les fissures du plafond.

Elle me parlera de ses nuits sans rivages, des ports inaccessibles, des tempêtes, de l’eau qui vole et des anges aux ailes cassées sur les falaises.

Alors je lui offrirai mon sourire et une place dans mon avion.

J’essuierai les larmes sur ses joues et lui demanderai où va cette eau qui coule des points hauts vers les points bas, si elle sait où vit le soleil, pourquoi les ours en peluche ne parlent pas, si les clowns gardent leur nez rouge pour dormir.

Alors elle m’embrassera avec sa bouche à bisoux et me dira que j’ai raison, qu’il ne faut pas grandir parce qu’alors le monde n’est plus le même que quand on est petit.

Elle me demandera ce qu’est devenue la fourmi que j’ai laissé tourner pendant trois jours dans la petite boîte ronde.

(Frottant ses yeux) La petite boîte ? J’l’avais oubliée celle-là !

(La porte s’ouvre, il se blottit au fond du lit) Ah ! tu es là !

Raconte-moi encore l’histoire de la baleine prisonnière des glaces et celle du berger qui gardait les étoiles.

(On voit la mère somnambule s’avancer et s’asseoir au bord du lit) Raconte-moi aussi les premiers pas, les premiers mots, les premiers jours, et l’eau qui coule des sources aux océans.

Parler sur tous les toits ou Histoires de pierres (Essai libre de saynète)

Deux gargouilles à Notre-Dame.

G1 : Faut que j’te dise

G2 : Tu… tu parles ?!!

G1 : Ben oui… j’essaye !

G2 : Mais…

G1 : Mais quoi ? T’en as pas marre de la fermer toi ?

G2 : C’est incroyable !

G1 : Eh bien moi j’en ai marre ! marre de me taire et d’avoir la bouche ouverte ; marre d’avoir toujours le même horizon et le vide par-dessous.

G2 : Incroyable !

G1 : Qu’est-ce qui est incroyable ?

G2 : Cela fait 500 ans que nous sommes côte à côte et…

G1 : Quand la solitude s’installe, c’en est fini. Et puis entre nous il n’y a qu’un pas.

G2 : Dire que nous sommes fixées là depuis tant de temps.

G1 : Cela fait au moins 50 ans que nous traversons l’ère de la communication !

G2 : Tu n’as pas le vertige toi ?

G1 : Tout va trop vite !

Silence entre les deux

G2 : Ben quoi tu n’parles plus ?...

G1 : J’sais plus quoi dire.

G2 : L’air est doux.

G1 : L’air, moi il m’attaque la face et me ronge le corps.

G2 : La lune éclaire, les bruits s’éteignent, on entend presque les étoiles.

G1 : Moi j’entends le tonnerre.

G2 : Tiens une goutte d’eau.

G1 : C’est bien un 15 août ! Après les flashes des touristes, voilà que le Bon Dieu nous prend en photo et nous envoie le déluge !

G2 : J’te laisse, j’commence à arroser les pavés !

G1 : Dommage, pour une fois qu’on parlait !

Le malentendu (Essai libre de dialogue)

L’enfant : dis papa, c’est quoi un être vivant ?

Le père : un être vivant. Et bien heu… toi par exemple, un jour tu es né et tu t’es mis à vivre.

L’enfant : comme les chiens et les chats ?

Le père : pareil. Eux aussi ce sont des êtres vivants. Ils mangent, ils grandissent, ils jouent et ils dorment.

L’enfant : oui mais moi en plus j’vais à l’école.

Le père : c’est normal d’apprendre, il faut en savoir des choses pour travailler, pour être plus heureux encore.

L’enfant : et les arbres ? est-ce que c’est heureux ?

Le père : un arbre ça ne pense pas, ça ne parle pas. Mais si son feuillage est bien vert ça veut dire qu’il est en bonne santé et qu’il vit bien.

L’enfant : alors il est malheureux tout l’hiver, à cause du froid.

Le père : mais non les arbres dorment en hiver.

L’enfant : ça m’étonnerait. Si on dort en hiver, ça veut dire qu’on est mort.

Le père : ce n’est pas la même chose chez les humains et chez les plantes.

L’enfant (marmonnant) : de toute façon j’ai raison.

Un silence

L’enfant : et les oiseaux, c’est parce qu’ils volent qu’ils vivent ?

Le père :non ! les oiseaux font comme nous pour vivre : ils ont besoin de respirer, de manger, d’avoir des bébés, de se protéger des ennemis. Mais ils n’ont pas toujours besoin de voler.

L’enfant : ça s’rait bien si on avait tous des ailes.

Le père : le corps humain n’est pas adapté au vol. Et puis toi tu as des jambes pour marcher, courir, ça devrait te suffire.

L’enfant : les ailes, c’est quand même plus pratique que les pieds. Moi j’aimerais bien apprendre à voler pour échapper aux punitions et aux fessées.

Le père : il vaut mieux que tu n’essayes pas, tu n’es pas fait pour ça.

L’enfant : de toute façon, j’sais bien que j’ai raison.

Le père : j’demande à voir !

Un silence

L’enfant : papa !

Le père (un peu énervé) : oui !

L’enfant : ça sert à quoi un caillou ?

Le père : eh bien… un caillou ça sert à faire joli dans la nature, à décorer si tu préfères.

L’enfant : ça ne peut pas faire des rêves ?

Le père : ma foi non !

L’enfant : alors ça voit tout ce qu’il se passe sur la terre !

Le père : mais les pierres ne voient pas, n’entendent pas ! elles sont insensibles.

L’enfant : n’empêche qu’elles viennent de bien plus loin que nous et qu’elles savent ce qu’elles vont devenir !

Le père : elles n’ont pas d’âme, elles n’ont pas de cœur !

L’enfant : oui mais elles ne meurent pas.

Le père : mais c’est inerte une pierre, ça ne vit pas !

L’enfant : m’en fiche, c’est moi qui ai raison !

Le père : c’est ça ! t’as raison !

Un silence

Le père (énervé) : dis donc tu as fait tes devoirs pour demain ?

L’enfant : que les maths.

Le père : ah bon ! et tes exercices de grammaire ?

L’enfant : bof ! on n’a pas de contrôle avant lundi alors…

Le père : ça n’t’empêche pas de travailler à l’avance et de faire ce qu’on te demande à l’école !

L’enfant : oh ! je saurais bien répondre puisque j’aurai toujours raison.

Le père (explosant) : mais arrête de dire cela, tu ne racontes que des sottises et tu n’as pas raison.

L’enfant (se mettant à pleurer) : si j’ai raison ! j’aurai toujours raison ! c’est toi et maman qui me l’avez dit.

Le père : quoi ? qu’est-ce que c’est que ces bêtises ? on ne t’as jamais dit que tu aurais toujours raison !

L’enfant : si ! l’autre jour pour mon anniversaire vous m’aviez dit qu’à partir de 7 ans c’était l’âge d’avoir raison !

Le père : de raison ! l’âge de raison c’est l’âge d’être raisonnable !

L’enfant : t’as menti !

Le père (haussant les épaules) : vouloir avoir raison à 7 ans ! 7 ans c’est l’âge où l’on commence à comprendre, à devenir un peu plus sage, à obéir à papa et maman.

L’enfant : c’est pas juste, c’est toujours les grands qui ont raison. Quand on est petit on a juste le droit de se tromper. C’est nul d’avoir 7 ans.

L’ange aux ailes brisées (Essai de saynète intrigante)

Un grand salon. 3 fauteuils. Table en bois.

Gilles : alors ce voyage ?

Vera : merveilleux ! épuisant mais absolument merveilleux !

Gilles : tu es partie en voiture ?

Véra : 16h de route, la neige en arrivant à Prague… c’était assez pénible.

La vieille (marmonnant tout bas) : il aurait pu se tuer !

Gilles : et la ville ? raconte !

Véra : la vieille ville est très bien conservée, les édifices sont superbes.

Gilles : j’te connais, tu as dû visiter toutes les églises de la capitale !

Véra : quelques-unes seulement ! il y en a tellement !

Gilles : de quel style ?

Vera : c’est très varié, les styles se chevauchent, s’entremêlent. Les façades sont chargées, les intérieurs très riches, des cascades d’anges, des dorures de tous les côtés. Certaines façades baroques cachent des vestiges médiévaux.

Gilles : c’est bien pour ta thèse ça !

Véra : c’est très enrichissant ! j’apprends beaucoup en ce moment et j’en prends plein les yeux.

La vieille (tout bas) : personne n’a rien vu.

Gilles : qu’est-ce qu’elle dit ?

Véra (tout bas) : rien, rien. Tu sais elle n’a plus toute sa tête depuis cet accident.

Gilles (tout bas) : elle nous entend ?

Vera : parfois.

La vieille : il est tombé sans bruit, ses ailes se sont brisées.

Gilles : elle rêve tout haut on dirait.

Vera : la mort de Rodolphe l’a vraiment déboussolée. Sa réalité n’est plus la nôtre, elle fuit dans un monde parallèle.

Gilles (tout bas) : tu n’as jamais songé à la placer quelque temps dans une maison spécialisée ?

Véra : impossible !

Gilles : oui je vois : son grand âge !

Véra : ce serait surtout sa mise à mort et puis… (hésitante)

Gilles : et puis ?

Véra : et bien il y a tout le reste. Ses visions, le tarot, on ne peut bousculer tout cela !

Gilles : elle continue ?

La vieille (marmonnant) : il pleuvait, les pierres étaient glissantes.

Véra : elle continue son voyage c’est tout ! elle recherche sa vérité parmi des repères qui n’existent plus.

Gilles : j’ai du mal à comprendre. Mais ce doit être pénible pour toi. Tu n’es pas à l’abri d’une crise ou d’une fugue.

Vera : je l’ai adoptée tu sais, comme elle l’a fait pour moi il y a longtemps.

La vieille : que fait-il là ? il aurait dû se tuer !

Gilles : mais de qui parle-t-elle enfin ! c’est morbide !

Véra : elle vit d’images, dans un autre espace-temps, d’images intemporelles, et moi j’ai besoin de savoir !

Gilles (perdant patience) : tu es en train de devenir aussi cinglée que cette vieille folle. Il faut te protéger.

Véra : Gilles, il faut absolument que je sache ce qu’il s’est passé. C’est la raison de mon voyage en Tchécoslovaquie. Rodolphe était une peu… mon père vois-tu.

La vieille (le regard fixe) : je le vois partir. Il est seul, avec son violon, seul sur sa route, la canne blanche le guide.

Véra : j’ai suivi sa trace partout dans la ville, de toits en soupiraux, d’avenues en coins de rues.

Gilles : tu as trouvé quelque chose ?

Véra : rien. Elle me tirait les cartes, elle disait que je saurais bien un jour.

La vieille : ne criez pas surtout, il ne faut pas le déranger.

Gilles : encore ses illuminations !

Véra : tais-toi !

La vieille : je l’entends jouer ! il vient ! (elle se lève et pose les mains sur la table)

Gilles : vieille folle !

La vieille : il hésite, il sent une résistance, quelque chose qui bloque son passage.

Gilles : Véra fais quelque chose !

Véra : c’est elle qui commande, aidons-la. (elle se lève et pose à son tour les mains sur la table)

Gilles : comment ?

Véra : en donnant notre souffle.

Gilles (se levant à son tour et posant ses mains) : c’est insensé !

A ce moment, la table se soulève et retombe

La vieille : Rodolphe ! je suis prête.

Gilles : c’est peut-être dangereux non ?

Véra : Chut ! concentre-toi.

La vieille : il se souvient, vous entendez ? c’est un air de Bohême, c’est son archer !

Gilles (à Véra tout bas) : tu entends quelque chose toi ?

Véra : elle seule peut communiquer dans cet univers-là.

La table bouge brusquement.

La vieille : pourquoi recréer le décor du drame Rodolphe ?

Véra : tes souvenirs ne peuvent servir à personne d’autre que toi.

La table continue de bouger

La vieille : peser le pour et le contre, faire la part des choses, je sais tout cela ! tout vient de moi, le drame c’est moi, la mort c’est moi.

Gilles : que voulez-vous dire ?

La vieille : tu allais glisser, la pente allait t’emporter et moi, je n’ai rien fait pour te retenir, ta canne blanche non plus. Tes ailes se sont brisées sur ton regard vide.

La table se renverse sur le côté

Gilles : mais pourquoi ce crime ?

La vieille : fini ! l’ange a brisé ses ailes. (épuisée, elle retombe dans son fauteuil)

Gilles : pourquoi ?

Véra : c’est lui qui a voulu mourir n’est-ce-pas ?

La vieille : il ne supportait plus les remarques des autres, ni le noir qui l’entourait. Je l’ai accompagné jusqu’au bout.

Gilles : quelle histoire horrible !

Véra : c’est mieux ainsi.

Gilles : tout de même, cette table aurait pu nous blesser

Véra : elle aurait pu.

La vieille (tout bas) : il aurait pu se tuer !

L’herbe à chats (Essai de bestiaire, avec l’aide de Mouron et ses poilus)

César est sur le lit (agressif, il tourne en rond). Marius est assis sur le bureau près de la fenêtre (se lèche, ne bouge pas trop)

César (baillant, bouscule Marius) : j’ai les crocs !

Marius : à qui le dis-tu !

César : 3h de retard, c’est rare quand même.

Marius : ouais. J’espère qu’elle a pas eu d’accident avec son solex.

César : tu rigoles ! même les vélos la dépassent.

Marius : moi j’me risquerais jamais sur cette machine. Ça fait un boucan d’enfer et ça pue.

César : une fois j’me suis fait avoir. Elle m’a mis dans une boîte et m’a transporté jusqu’au véto. L’enfer ! j’étais encore plus malade en arrivant.

Marius : en attendant, on a toujours rien à manger.

César : t’as fait les placards ?

Marius (soupirant) : même le frigo est vide. Il se lève en direction d’une plante en pot. Remarque, on peut s’attaquer aux plantes.

César : ça va pas ! j’suis pas végétarien moi ! et puis on risquerai de se faire engueuler.

Marius : j’aimerais bien goûter à la nouvelle, elle sent drôlement bon. Il renifle en direction de la plante.

César : quelle nouvelle ?

Marius : ben t’as pas vu le pot en haut de l’étagère ? elle l’a apporté hier.

César : ah oui ! belle plante on dirait.

Marius (bondissant sur l’étagère) : et l’odeur ! t’as pas reniflé ! moi ça me rends fou. Attends j’vais essayer de redescendre avec.

Marius pousse le pot qui tombe et se casse.

César (affolé) : t’es dingue !

Marius : flûte, j’croyais pas qu’c’était si lourd !

César : qu’est-ce qu’on va prendre !

Marius : tu caftes pas hein ?!

César : t’es bête ! c’est vrai qu’elle sent bizarre cette herbe.

Marius : ah tu vois ! j’en mangerais bien une feuille ou deux.

César : tu vas te rendre malade. et puis Caro elle sera pas contente du tout.

Marius : j’assume. De toute façon, au point où elle en est c’te pauvre plante…

Marius mâchonne quelques feuilles de marijuana ; César le regarde faire.

César (intrigué) : alors ? c’est bon ?

Marius : fameux ! tu devrais essayer, ça cale.

César : bof ! enfin si t’insistes. Il mâche quelques feuilles. Marius y revient par petits bouts.

Marius : ouf ! quel repas !

César : moi j’trouve pas ça extraordinaire. J’préfère ma pâtée, c’est plus naturel.

Marius : plus naturel ! tu parles ! entre les colorants et les hormones…

César : oh ! lâche-moi ! et arrête de manger, il va plus rien rester.

Marius (s’installant sur le lit) : eh dis-donc j’me sens tout drôle. J’ai la tête qui tourne.

César : et voilà ! si ça s’trouve c’est une plante vénéneuse, on va mourir empoisonnés !

Marius (à l’arrêt, le regard fixe) : j’ai les pattes qui répondent plus, j’y vois tout flou.

César : moi aussi ça tourne ; j’me sens tout mou ; faut que j’m’allonge.

Marius : c’est trop ! j’ai l‘impression de nager dans l’air.

César : y’a plus d’plafond, j’vois des nuages tout roses avec de l’herbe verte qui pousse dessus.

Marius (rigolant) : t’as vu ? y’a plein de souris sur l’étagère ! elles ont les yeux qui clignotent ! j’suis tellement bien là-haut que j’ai même pas envie de leur courir après.

César : super ! y’a des os qui ont troué la moquette. Même pas besoin de les déterrer.

Marius (s’allonge au sol) : je plane ! j’fais du surf sur les gouttières ! j’me sens libre comme un poisson dans le ciel !

César : tiens j’entends une voix. Qui est là ?

Arthur : c’est moi, Arthur, l’ours en peluche.

César : tu parles toi ?

Marius : pas possible ! il a mangé de l’herbe !

Arthur : vous avez franchi les frontières de votre domaine, ici nous pouvons communiquer. Hors de ces limites je ne suis pas qu’un jouet, je vois tout, j’entends tout.

César : ah bon ! quand j’te mordille pour passer le temps, tu ne te plains pas, tu dis jamais aïe.

Arthur : c’est normal, je n’ai ni cœur, ni voix.

Marius (se redresse et regarde Arthur puis s’allonge et dort d’un œil)  : ah bon ! mais alors t’es quoi ?

Arthur : je suis un donneur de douceur, je berce le sommeil des autres, je rassure, je protège des mauvaises ondes. Je suis quelques grains de sable, un peu de poussière d’étoile d’un marchand qui ne passe plus depuis si longtemps.

César : mais t’es un ours ou un cosmonaute ?

Arthur : j’en ai trop dit, je retourne dans le monde du silence.

Quelques secondes s’écoulent…

César : dis Marius !

Marius : quoi ?

César : j’entends plus rien ; tu crois qu’on est morts ?

Marius : mais on ! on est en plein rêve.

César : on peut pas rêver si on dort pas !

Marius : avec cette herbe, si !

César : de l’herbe à rêves ! ça alors !

Marius : ça s’rait bien s’ils en mettaient dans nos boites !

César : chut ! j’entends le solex. Elle arrive, fait semblant de dormir.

Marius : quel voyage ! si elle savait !

On entend la clé qui tourne dans la serrure.