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Mycologie

Bolet blafard (Boletus luridus)
Bolet blafard (Boletus luridus)

 

Animal ou végétal ?

 

La manie humaine d’étiqueter tout ce qui vit est restée longtemps basée sur des critères morphologiques d’observation à l’œil nu. Durant des siècles les champignons ont été classés dans le règne botanique, étant donné leur apparente immobilité. Ils sont ainsi placés parmi les Cryptogames (du grec kryptos, fécondation cachée), comme tous les êtres trop discrets sur leur mode de reproduction : algues, mousses, lichens et fougères. Tous font partie des ‘plantes sans fleurs’ car aucun organe sexuel ne se laisse deviner, aucune jolie corolle ne s’épanouit, aucune graine ne se forme. La plupart n’ayant ni tiges ni feuilles véritables, ils seront considérés pendant très longtemps comme des ‘végétaux inférieurs’.

Mais à travers l’infiniment petit, la complexité du monde vivant se dévoile et les certitudes des savants s’évanouissent. Sous le microscope, les caractéristiques cellulaires et biochimiques des champignons se révèlent bien différentes de celles des plantes : leur paroi cellulaire est faite de chitine, substance rigidifiant aussi la structure des insectes et crustacés, ils se nourrissent de matière organique, ils stockent leurs réserves sous forme de glycogène… comme les animaux.

Pour autant, les champignons possèdent trop de différences avec les animaux pour être classés parmi eux. Un nouveau règne biologique est alors créé en 1969, le règne fongique. Mais toute classification est arbitraire et la taxinomie évolue avec les découvertes génétiques, faisant l’objet d’âpres luttes entre spécialistes. Ainsi aujourd’hui le mildiou est plus proche des algues que des champignons, ce qui explique d’ailleurs pourquoi les traitements antifongiques contre cette maladie n'ont jamais été très efficaces.

Ni végétal, ni animal, un champignon c’est… un champignon !

Pézize turquoise (Chlorociboria aeruginascens)
Pézize turquoise (Chlorociboria aeruginascens)

Stratégies de vie

Ils sont supposés être plusieurs millions d’espèces à travers le monde, mais seulement une minorité d’entre eux a déjà été répertoriée !

Il y a, c’est sûr, plus d’espèces de champignons à trouver que de gens occupés à les chercher.

Les plus connues sont les espèces ‘casserolables’, prisées des mycophages, et les espèces toxiques qui font halluciner ou… trépasser. Mais les champignons comprennent aussi de nombreux groupes spécialisés souvent microscopiques, telles les levures, rouilles et autres moisissures que l’on croise au quotidien, pour le meilleur ou pour le pire : pain, fromage, bière, vin, antibiotiques, mycoses, intoxications, maladies des plantes cultivées, etc.

La diversité fongique est délicate à apprécier car le champignon est un organisme globalement invisible : sa majeure partie est formée d’un réseau de filaments enfouis, le mycélium. L’organe bien connu qui apparaît en surface, n’est que l’appareil reproducteur du champignon, le sporophore ; chez certaines espèces comme les truffes il se développe sous terre en toute discrétion…

Sous le chapeau d’un champignon les spores se dispersent à maturité au gré de l’eau et du vent. Ici pas de genre sexuel bien défini, mais une polarité positive pour la moitié d’entre elles et une polarité négative pour l’autre moitié. Chaque spore germe et forme un filament, le mycélium primaire. Rapidement les polarités opposées se rencontrent et fusionnent en un mycélium secondaire. Lorsque les conditions extérieures sont optimum, ce mycélium émet un sporophyte porteur des futures spores : le chapeau sur son pied. Le cycle est bouclé ! Entres les cueilleurs obsessionnels et les limaces, la durée de vie des sporophytes est souvent très courte mais les modes de reproduction sont d’une efficacité redoutable pour coloniser l’espace : un mycélium peut se ramifier sous terre sur plusieurs hectares et un Champignon de Paris peut produire 16 millions de spores par jour.

Les champignons, dépourvus de chlorophylle, ont élaboré différentes techniques pour absorber leurs nutriments. Certains sont des ‘saprophytes’, décomposant la matière organique morte en humus. D’autres parasitent des êtres vivants à leurs dépens. D'autres encore sont carnivores et utilisent des filaments minuscules pour capturer des vermisseaux. Enfin certains vivent en symbiose avec d’autres êtres vivants comme les mycorhizes des truffes sur les racines des chênes unies en un bénéfice mutuel ou le mycélium que les fourmis champignonnistes utilisent pour digérer la cellulose du bois en échange de substances nutritives.

Trompette des morts (Craterellus cornucopioides)
Trompette des morts (Craterellus cornucopioides)

Vigilance dans la poêle, persévérance pour le futur

Les caractéristiques biologiques des champignons leur confèrent, dans diverses sociétés, un caractère magique et sacré relié aux notions symboliques de fertilité, régénération, immortalité. Les substances actives des champignons dits ‘hallucinogènes’ induisent des modifications sensorielles de la réalité, recherchées par les amateurs d’expériences mystiques ou de fous rires passagers, mais ne sont pas sans dangers suivant la dose ingérée…

Les champignons toxiques sont peu nombreux mais très fréquents dans la nature et leur identification est parfois compliquée. Mieux vaut donc l’aide d’un spécialiste pour éviter de terribles maux de ventre tout en apercevant des éléphants roses se balader dans les égouts… ou bien pire, d’avaler le poison mortel de l’amanite phalloïde.

L’intérêt gastronomique des champignons comestibles réside surtout dans la valeur gustative de certaines espèces recherchées (cèpe, oronge, truffe, morille…) et dans leur apport nutritif qui les rapprochent plus d’un steak que d’une ratatouille. Ils sont composés à 90% d'eau, pauvres en graisses mais riches en vitamine B, phosphore, potassium, fer et protéines. Mais attention au lieu de cueillette car les champignons sont de vraies éponges ! Ils accumulent rapidement dans leurs tissus les polluants déversés en milieu urbain, le long des routes, ou en zone agricole.

Les champignons intéressent aussi les chercheurs en biotechnologies de par leurs capacités enzymatiques à transformer les cellules des végétaux et permettre ainsi la synthèse de biocarburants. D’autres scientifiques envisagent de cultiver certaines espèces fongiques pour la dépollution des substrats ou des matériaux, étant donné leur propension à concentrer métaux lourds et radionucléides.

Le rôle des champignons est vital pour le fonctionnement de nombreux écosystèmes, et par là même pour la survie des organismes en interactions avec eux. La dégradation des milieux naturels liée aux activités humaines accentue leur disparition. En prendre conscience oblige à un peu plus d’attention sur nos agissements pour préserver les habitats naturels, et à considérer autrement ces petits êtres dont un grand nombre assure notre bien-être.

 

Le cas des lichens

Xanthoria elegans - Spitzberg
Xanthoria elegans - Spitzberg

Les pionniers des milieux hostiles

Il existe près de 20 000 espèces de lichens dans le monde pouvant vivre dans des biotopes très variés et dans des conditions extrêmes où ils supportent des températures de –50°c à +70°c : glaciers, déserts, bord de mer…. Leur croissance est lente mais leur longévité importante ; certains peuvent mettre un demi-siècle à atteindre la taille d’une pièce de 1 centimes ; ceux qui ont la taille d’une soucoupe peuvent être âgés de centaines d’années.

Les lichens sont des êtres étonnants qui étalent leurs thalles aux formes variables sur différents supports. Ils sont souvent les premiers colonisateurs de certains terrains nus (sol, écorces, rochers, béton…), parfois en concurrence avec les mousses.

Quand il ne pleut pas ou que l’humidité baisse, les lichens peuvent passer rapidement en mode de vie ralentie en se desséchant et reprendre une activité physiologique à la première rosée du matin. Sur ce terrain, ils sont moins résistants que leurs rivales moussues car la dessiccation les rend cassants. Mais les fragments qui se détachent, peuvent, si la force du vent est avec eux, reproduire un nouvel organisme dans un secteur moins convoité.

Mais d’où leur vient cette capacité de résistance à tout ou presque ?

Xanthoria parietina – Pont Neuf
Xanthoria parietina – Pont Neuf

Partenaire particulier

Un lichen est un être double : c’est une association symbiotique entre une algue et un champignon minuscules, où chaque partenaire y trouve son avantage. L’algue est autotrophe mais fragile, elle se dessèche au soleil, il lui faut de l’eau ; le champignon est plus résistant mais hétérotrophe, il lui faut de la nourriture. L'algue utilise la lumière du soleil grâce à sa chlorophylle et fabrique de la nourriture carbonée ; ses cellules se développent entre les filaments de mycélium du champignon qui pompent allègrement les glucides issus de la photosynthèse ; le champignon entoure l’algue et lui procure un abri contre la dessiccation tout en la protégeant d’une lumière trop intense ; il excrète des acides qui dissolvent la surface des supports rocheux, libérant des minéraux que l’algue convertit en nutriments ; enfin il retient l'eau de pluie, également source de sels minéraux, que l’algue reçoit en retour, ainsi que les protides accumulées dans ses membranes cellulaires épaisses.

Et si le partenariat ne semble pas être des plus excitants, c’est un véritable succès qu’atteste leur nombre et leur aptitude à survivre.

Lecanora muralis – Pont des Arts
Lecanora muralis – Pont des Arts

L’intérêt commun

La symbiose trophique est cette association originale de deux organismes qui y trouvent un bénéfice alimentaire réciproque. Elle leur permet de conquérir de nouveaux milieux qui sinon leur seraient interdits à l’un et à l’autre. Une symbiose de ce type est en réalité très complexe et représente des conditions d’équilibre précaire : elle ne fonctionne que si les conditions de vie sont défavorables, car en effet chacun peut vivre séparément si l’environnement lui convient. Il ne s’agit donc pas forcément de quelque chose d’harmonieux, mais plutôt d’intéressé ! 

Un arrangement qui permet à deux êtres d'associer leurs différences pour résister, de prendre soin l'un de l'autre pour exister, et témoigne de ce fait émouvant que la vie à son niveau le plus simple surgit apparemment pour le simple fait de vivre .

Le plus exceptionnel dans la symbiose lichénique, c’est que les deux organismes perdent leurs individualités : les particularités biologiques propres aux lichens ne se retrouvent pas dans le champignon ou dans l’algue à l’état libre. C’est pourquoi les lichens sont considérés comme des espèces à part entière, et classés aujourd’hui dans le règne fongique, car 90% d’un lichen, c’est du champi !

Renne du Svalbard dans la toundra arctique
Renne du Svalbard dans la toundra arctique

Sensibles et utiles

Les lichens sont très réceptifs aux polluants atmosphériques qu’ils accumulent sans sélection dans leurs tissus. Chaque espèce a sa propre sensibilité, et peu brutalement disparaître ou réapparaître selon le niveau de telle ou telle substance dans l’air. Ils constituent un outil fiable pour mesurer le niveau de pollution aérienne ou la chimie des sols. Ainsi la Parmélie des Tilleuls est un bio-indicateur de la qualité de l’air, sensible au dioxyde de soufre ; son retour depuis quelques années sur les troncs d’arbres parisiens indique la diminution d’un certain type de pollution.

Si l’accumulation de polluants toxiques finit par tuer les lichens, le problème se répercute ensuite sur les espèces herbivores qui les broutent sans vergogne. Ainsi les rennes sont devenus radioactifs en Laponie après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, et à leur tour… incomestibles pour l’Homme !

Les usages des lichens sont multiples et depuis très longtemps. Dans les pays nordiques ils constituent la nourriture hivernale des animaux d’élevage (vaches, caribous, rennes, porcs, chevaux). Autrefois certains lichens entraient dans l’industrie tinctoriale pour colorer en rouge, jaune ou brun. Quelques-uns servent encore à fabriquer les parfums à odeur de « chypre » ou « cuir de Russie ». D’autres intéressent la pharmacopée par leurs propriétés antibiotiques. Les Scandinaves consomment la ‘mousse d’Islande’ (Cetraria islandica) qui une fois bouillie forme la base de soupes ou de ragoûts. Enfin la célèbre ‘manne du désert’ (Rhizoplaca esculenta) aurait, dit-on, sauvé les Hébreux de la famine.

Le blob, un être unique au service de la recherche

Physarum polycephalum sur bois mort (Rich Hoyer/Wikimédia)
Physarum polycephalum sur bois mort (Rich Hoyer/Wikimédia)

L’immortel dans la forêt

Le blob n’est ni animal, ni végétal, ni champignon : il appartient à la classe des Myxomycètes. C’est un organisme singulier, découvert par hasard en 1973 aux États-Unis. Il se compose d’une seule cellule et de milliers de noyaux, chacun avec le même matériel génétique.

Les chercheurs considèrent qu’il est doté d’une certaine "intelligence". En effet il est capable d’optimiser ses déplacements pour assimiler sa nourriture, d’apprendre un cheminement, d’indiquer une source d’alimentation ou un danger à un congénère (excrétion de calcium).

Sa couleur jaune et son aspect gélatineux le rendent facile à observer en forêt, sous des feuilles mortes ou du bois en décomposition, bien au frais. Car c’est à l’abri de la lumière qu’il se développe lentement, explorant sans relâche son environnement en quête de nourriture (bactéries, champignons). Ses pseudopodes, capables de percevoir les molécules attractives, prospectent le substrat puis phagocytent les particules alimentaires. C’est son réseau veineux qui en se contractant fait avancer sa membrane plasmique en poussant le cytoplasme contre la paroi. Sa vitesse peut aller jusqu’à plusieurs cm par heure.

Ses prédateurs sont des limaces, collemboles ou scarabées qui le dévorent sans vergogne. Mais dans l’absolu le blob peut vivre plusieurs décennies grâce à sa capacité de reviviscence : il est dit immortel. Si les conditions environnementales se dégradent (froid, sécheresse, manque de nourriture) il peut émettre des spores pour assurer sa reproduction, ou bien entrer en dormance et passer alors de la forme plasmode à celle de sclérote, très résistante et qui peut se régénérer dès que la situation externe redevient favorable.

Blob en croissance (souche Malu)
Blob en croissance (souche Malu)

L’expérience du blob

Depuis plusieurs décennies les activités humaines impactent notre biosphère et son climat. Au sein des écosystèmes planétaires les micro-organismes, invisibles et peu considérés, jouent un rôle essentiel dans la chaîne alimentaire et le cycle du carbone. Ainsi en forêt, ils décomposent la matière organique qui minéralise les sols et permet la croissance des plantes que brouteront ensuite les herbivores, proies des carnivores... Le blob en fait partie. Sans eux le monde serait puanteur, causée par les déchets organiques, et ses habitants auraient des soucis de santé.

Les caractéristiques propres du blob intéressent les chercheurs qui ont lancé en 2022 une étude de science participative (CNRS) pour comprendre l’influence des variations climatiques sur deux espèces (Physarum polycephalum et Badhamia utricularis). 15000 candidats de France et d’ailleurs (individuels, familles, écoles, ehpads...) ont été sélectionnés, par le blob lui-même (!), afin d’élever chez eux différentes souches, en les soumettant à plusieurs régimes de température variant d’intensité et de durée, sous l’effet d’une lampe chauffante infra-rouge simulant des amplitudes de chaleur.

Chaque volontaire doit s’équiper du matériel nécessaire et respecter le protocole qui lui est attribué. Les objectifs sont de faire comprendre la démarche scientifique (questionnement, méthode, analyse, publication...), de sensibiliser au réchauffement climatique et de faire connaître cet être vivant unique qu’est le blob. https://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/derriere-le-blob-la-recherche-une-experience-de-science-participative-du-cnrs

Blobby et Blobette en exploration
Blobby et Blobette en exploration

Le volontaire et son blob

Un jour on reçoit dans sa boîte aux lettres le pensionnaire tant attendu, sous forme de grains poudreux fixés sur du papier filtre, les fameux sclérotes. Après l’excitation et l’impatience de démarrer l’expérience, c’est le stress des préparatifs. On ajuste le matériel, on relit dix fois son protocole, on répète les gestes dans sa tête et on se lève la nuit pour vérifier que tout se passe bien dans les boîtes à chaussures.

La démarche est exigeante et chronophage : elle nécessite rigueur, sérieux, engagement, humilité, doutes, de l’aube au crépuscule. Car oui il faut être motivé pour leur octroyer 2h de temps matin et soir durant plusieurs jours, les réveiller, les nourrir, les transférer sur une litière d’avoine propre, préparer la gélose, laver les boîtes de pétri, contrôler les thermomètres, chauffer le groupe expérimental sans mettre le feu, comparer le groupe témoin, mesurer leur croissance, photographier leurs comportements, rattraper ceux qui tentent l’évasion, applaudir les formes incroyablement artistiques de certains, se résigner à la mort d’autres... et tout consigner dans un cahier de laboratoire en s’appliquant à l’écriture. Plus tard ces précieux renseignements permettront l’analyse et la publication des résultats.

Si une telle aventure invite à la prise de conscience de la vie microbienne insoupçonnée, de sa fragilité et conséquemment de la nôtre, elle est aussi une grande aventure humaine à travers le groupe d’échange dédié sur Facebook : une communauté de 8 à 90 ans, enthousiaste, curieuse, avec l’envie d’apprendre et de partager. Alors des rencontres locales s’organisent pour s’entraider, les amis intrigués passent une tête et s’en font offrir quelques restes desséchés, les apéros s’enchaînent... car prendre soin d’un blob c’est aussi se soucier des autres.